Sandwichnator

24 Avril 2014 , Rédigé par Vincent COLETTI

Aujourd'hui, j'ai participé à la mise en place et l'ouverture de la boulangerie.

En fait je rectifie, c'était hier mais j'ai commencé à écrire mercredi soir mais j'ai pas eu la force de finir...

Donc comme je disais j'ai participé à l'ouverture de la boulangerie, mais ça c'était après avoir vu que Paris appartient au Peuple à 5h du mat, que tu vois peu de costards cravates dans les carrés du RER, même le A en provenance de St Germain banlieue ghetto 92... J'ai aussi pu constaté qu'à la vue d'un Thermos de café, un clodart peut être aussi dingue qu'une nympho dans une partouze, mais j'ai survécu contrairement à elle. Je pensais que la 8.6 était leur seul exutoire mais non.

Donc après avoir traversé l'Afrique, le Pakistan et les Balkans en RER j'arrive à Châtelet. La veille je m'étais aperçu que je galèrai pour rien avec la ligne 1 puisque en même pas 5 mins j'étais sur le quai du RER via la porte du Louvre. Sauf qu'à 5:40, la porte du Louvre est fermée, tout comme toute les autres portes, merci RATP. Mais comme j'ai déjà passé les portiques, mon billet ne me permet plus de rejoindre une quelconque possibilité d'extraction des sous sol de châtelet, du moins ceux à ma connaissance.

Désormais un seul objectif s'offre à toi dans ce genre d'instant, sortir de là pour éviter, encore, d'arriver en retard... J'enchaîne les dédales des Halles (le centre co), putain de fourmilière en vérité! Dans chaque allée, je vois des trucs très sales! Des mecs endormis dans leur merde avec la tête du voisin en mode coma à 5cm. Des déformations de membres dûes à des phlébites, des mecs violets, des seringues encore plantées... Bref je passe mais ça fout la gerbe en live... Je tombe enfin sur un sorte d'ascenseur, je l'appelle et je vois que c'est bon, il arrive de la surface. Trois étages plus haut, je me retrouve à l'extérieur mais en plein milieu du chantier des halles. Dégouté... mais vite rassuré à la vue d'une porte en plein milieu de la balustrade. Je m'approche, serre la poignet et je prie à la vue du digicode. Rien à faire c'est fermé. Genre je vais vraiment pas y arriver! Je tente de faire une NCIS avec la vapeur de mon café sur les touches du clavier mais j'ai loupé mes cours de balistique au lycée, et puisque je ne devine pas la combinaison, retour à la case ascenseur, qui pue la pisse j'avais oublié... Me voilà à nouveau dans la fourmilière. A travers une porte de coursive j aperçois des voitures, sauvé! Parking St Eustache, 5h49 je suis dehors et poseyyy mon mug de café au poignet à observer Philippe le boulanger à travers la vitrine. Une chose est sûre je me sens bien réveillé!!! Il m'ouvre et à l'intérieur la chaleur du four qui envahit la pièce tente de me renvoyer vers Morphée. Mais c'était sans compter sur la douce odeur des baguettes traditions et sur le pain brioché que Philippe me tend. "Tiens dit moi ce que t'en penses?!!". La journée peut enfin commencée.

6h00, Dany la vendeuse antillaise arrive... Je comprends vite qu'elle n'est pas encore réveillée ou plutôt je me rappelle qu'elle est antillaise... S'en suit la mise en place de la boulange. On part de zéro, le lieu est vide, tout ce qui est à exposer vient d'être fabriqué! Oublies l'odeur!!!! Rooooo les souvenirs des croisants chauds, des chocolatines (mon correcteur d'orthographe me surligne le mot en rouge, putain d'iPhone parisien!), les baguettes brûlantes, les pains aux raisins qui collent aux doigts, c'est tout pareil que lorsqu'on avait 20 piges a la sortie de la Luna (si vous connaissez pas cette boîte de Villeneuve sur lot, je peux comprendre) sauf que la je suis pas ostralopithèque et que le boulanger comprend ce que je lui demande (parce que mug de café et pas bouteille de clan Campbell).

30 mins après la viennoiserie est alignée en vitrine telle l'armée coréenne lors d'un défilé face à Kim Jong-un. Maintenant passons à la pâtisseries et la clique des Opéra, Divorcé, Religieuse, Eclair, etc. A ce stade le café ne fait pas encore effet, et face à tout ça je commence à avoir un peu la dalle puisque faut pas abuser, à 4:40 du mat t'as juste la force de te doucher et te faire ton thermos... J'enquille la présentation des entremets dans la vitrine qui donne sur la rue. Il est temps d'imposer ma patte (genre ça fait 2 mois que j'y suis). J'explique donc l'importance du sens de circulation clientèle à Dany, étant donné la capacité d'accueil très réduite à l'intérieur, les gens font la queue sur le trottoir, donc patiente le midi devant cette vitrine. L'angle d'inclinaison des éclairs et autres trucs qui me parlent ou plutôt qui me crient "mange moi mec" est donc capital.

Résultat, on en a liquidé beaucoup plus!!! Trop fort le type mais attendez il y a une explication... J'avais presque fini cette mise en place, il me restait une grille d'environ 10 gâteaux, là Léo débarque et comme d'habitude, il sort une connerie avec sa tête qui me rappelle celle qu'il avait les matins à l'internat (je sais pas si je vous l'ai dit mais on était ensemble au lycée, 3 ans d'études dans la climatisation, voilà où cela nous a mené). Je relance, il remet une couche, bref de l'humour à 6h30 du mat. Mais bougez pas, je vais vite lui enlever son sourire et instantoirement le mien!!! La ficelle qui entoure mon tablier s'accroche à la grille posée en équilibre sur le rebord de la vitrine réfrigérée. Triples saltos, front side, et pénétration dans le sol sans éclaboussure! Note artistique 9.8, note technique 9.7, j'obtiens donc le titre de champion du monde de lancer de pâtisseries! Changement radical de face pour les 3 acteurs dans la boulangerie... Bon je la mène pas large devant mon pote même si je sais déjà que dans sa tête il est dingue mais qu'il va me dire que ça arrive, une fois. Je sais aussi qu'il va me dire que j'ai déjà grillé mon joker donc j'anticipe et lui dit "Te fatigues pas, je sais j'ai plus de carte chance!". C'est donc exactement ce qu'il me dit, sauf qu'il rajoute une chose: "tu peux descendre au labo dire à Éric le pâtissier que t'as niqué une partie de sa production...".

Éric c'est un peu comme Phillipe le boulanger sauf que lui il vit 10h dans sa grotte au sous sol alors autant dire que le mec est agréable et aime les gens! Forcément il a pas aimé ce que je lui ai dit, mais à ma grande surprise a encaissé sans rien dire... C'est pire. Sachant que je vais au moins faire une semaine avec lui, je risque de morfler.

Il est 6:45, la boulangerie est olé, on ouvre. La clientèle du matin c'est très drôle. T'enchaîne les ptits vieux qui ont réservé la veille leur pain au lait, comme si à 6:44 il allait y avoir un car de chinois fanatiques de pain au lait... Ensuite t'as le costume cravate qui ramène le ptit dej pour son meeting du matin et qui est déjà connecté kit main libre, là oublies le bonjour, merci, au revoir... Tu croises aussi des working girls qui n'en peuvent plus de leur Gerblé, et qui sont encore marquées de la soirée de la veille "à la recherche du petit jeune". Puis t'as des fêtards, des éboueurs, des policiers municipaux, etc...

8:00, j'attaque la préparation des salades: 48, aka le fendeur de laitue.

9:00, mise en place du labo pour le service du midi, on décide avec Léo de me laisser aux sandwichs pour que les filles restent à la vente, j'ai pas encore digéré la séance d'origami de la veille!

9:30, Alex, la femme de Léo, "patronne" comme l'appellent les 2 pakpaks, m'apporte une commande et m'explique que cet après-midi je vais devoir préparer 62 plateaux repas... Pas de soucis fait moi confiance!

Je commence donc à préparer les sacs, avec bouteille d'eau, serviette et pomme en marquant sur la poche le contenu du futur sandwich à y insérer. J'enchaîne par l'emballage des chocolatines une par une dans une feuille de soie... Assez chiant j'avoue mais j'expedie l'affaire en 1h30.

11:00, l'heure de lancer les sandwichs pour le service de midi. La prépa c'est cool car ça va vite et tu bosses à deux voir 3. Ça permet de discuter un peu en bossant et donc de connaître un peu mieux tes collègues et de les cerner afin de rendre mes premiers bilans à Léo et Alex sur les profils humains qui composent leur équipe. Car le management n'est pas leur fort et malheureusement certaines choses doivent être réglées par l'humain. Je me suis déjà mis Dany, l'antillaise, dans la poche. Régeanne aka Mamie est cool, 62 ans déjà à la retraite, mais elle fait 25h/semaine parce qu'elle a du mal à laisser filer 32 ans de maison (32 ans dans la même boulangerie ça force au respect). Nadège c'est la rasta blanche (saisi avec des vraies, en voie de disparition mais il y en a encore par ci par là). Elle est toujours peace, elle bosse mais reste parfois perchée dans son monde. J'ai du mal à accrocher mais le temps fera le reste. Puis y'a Léa, l'intérimaire, qui le restera je pense toute sa vie. Elle est habité par une mission, celle de tout me montrer, mais le délire est que personne ne le lui a demandé et qu'elle fait tout différemment de ses collègues. J'ai tenté de le lui expliquer avec humour mais je crois pas avoir la même définition de l'humour qu'elle. Sauf à un moment, elle a réussi à me faire péter une barre ("exploser de rire" traduction pour les générations antérieures â 1975). Je lui expliquai mon ancien métier... L'espace d'un instant je m'interrompt car je la sens perdue, et la elle me sort: "tu emploies un vocabulaire trop compliqué pour moi je ne te comprend pas vincent", ou plutot "wech t 1 daron en fête toi, va zi tu parl fasson ke j'te konpran ap la veriT". Maintenant je comprend que ce n'était de l'humour. Grand avenir la petite, et dire que tu vas être un jour génitrice...

12:00, le service se passe et je suis à la limite du craquage avec toutes ses commandes qui sont chaque fois différentes des sandwichs préparés le matin... Mais je gère la crise par l'humour, encore. Ce qui est fun c'est que le labo est une des premières choses visibles quand le client rentre. Du coup y'a moyen de placer quelques conneries quand tu fais un tradi complet mayo sans œuf alors que le mec voulait un sésame beurre rosbeaf mi cornichon mi tomates... Bon c'est pas passé cette fois ci mais sinon je suis arrivé à dévier quelques clients de leur envie initiale! Après je pourrai peut être soumettre l'idée du sandwich pain surprise, en gros "fait pas chier avec tes demandes exclusives et bouffe ce que t'as dans le sachet". Non j'abuse, le client est roi tant qu'il me prend pas pour la reine... Choses que les filles, les 4, ont du mal à intégrer. Le pire c'est avec les touristes! Elles soufflent, elles râlent et sont agréables comme des caissières Auchan (pas Carrefour parce que George re Plassat le sourire sur les lèvres des siennes, de caissières... Je sais c'est chaud à comprendre, ou naze, ou les 2). En expliquant aux miennes, quelques différences sur les cultures, mais aussi en les projetant à la place du client, elles comprirent et me dire "ah ouais t'as raison, on le voyait pas comme ça!". "Elles" exclut Léa que j'avais perdu dès le deuxième mot de ma phrase...

14:00, le service est fini ou presque, c'est l'heure de casser une croûte, enfin, celle du sandwich. Je m'affale, comme la veille, sur un sac de poudre blanche contre le four. Franchement même si la baguette est une tuerie, le fait que cela soit un sandwich me coupe un peu l'appétit. Les 8h non stop m'ont un peu grêlé les jambes tout de même. Ça pique et je suis pas loin de m'assoupir avec la chaleur du four et la douce odeur du pain chaud...

Mais ce petit moment de plaisir prend fin avec l'arrivée de la patronne! "Vince, ça va? T'as mangé? Il est 14:30, il faut finir les plateaux repas!" Merde j'avais presque zappé. Allez au turbin garçon!

Je reprend ma place au labo... Je cleane le carnage du midi, et remplit mes box d'ingrédients. Je suis prêt. 15h00, j'ai dit à Raph de venir prendre une bière à 16h30 dans le bar juste à côté, il me reste donc 90mins pour taper 62 sandwichs mayo, salade, tomate, œuf, poulet... Soit 1 minutes 25 par morceaux de pain! WTF... Heureusement Henri Ford n'a pas inventé que le Cmax, accessoirement il nous a appris le fordisme. Gogogadget au couteau, les 31 traditions sont tranchées telles la mer rouge par Moïse. Mais en parlant de mouise, j'y suis juste après avoir badigeonné la baguette de mayo et placé en son sein feuilles de laitue et tomates... Arrive le tour des œufs durs. Faire une salade domestique avec un ou deux oeufs durs, ça va, tout le monde gère normalement bien. Par contre faire en sorte que les 4 rondelles d'oeuf aient de la gueule dans un sandwich, ça c'est un autre problème, du moins à partir du dixième puisque que tu t'aperçois que chaque fois tu mets 2'23 pour 1'25 prévue... Donc j'hésite à employer la technique du "je m'en fous c'est pour des lycéens qui vont même pas bouffer la moitier et prendre un DoMac à emporter au prochain carrefour" ou celle du "je mets le contour de blanc d'oeuf d'abord puis j'insère au milieu du blanc le morceau de jaune correspondant". Option 2 choisie, par conscience professionnelle! Bon ok c'était pas à chaque coup le jaune correspondant au blanc...

Résultats j'ai perdu 3 secondes par sandwich, mais Raph était à la bourre et Mamie Régeanne est venu à mon secours en emballant chaque sandwich dans une feuille de papier de soie donc j'ai pu compléter la mission "Plateaux repas".

17h, je sors de la boulangerie, Léo m'interpèle en me disant: "demain matin 6h?!! Tu bosseras avec Philippe le boulanger!". Niiiice, ça me redonne un ptit coup de patate pour pas m'écrouler dès la première gorgée de bière.

Voilà, une petite journée de 11h pour mon deuxième jour de nouvelle vie, avec à la clé environ 200 sandwichs fait de A à Z. Mais je m'en bas les reins car au Chili je ne ferai pas de sandwich avec des oeufs et si je fais des sandwich je prendrai un sandwichnator indien!

Demi meules et Tradi olives

A+

Partager cet article

Repost0